Je disais dans ma note précédente du 18 septembre que le plus important dans une politique tarifaire est de déterminer les objectifs poursuivis.
Les trois familles de critères tarifaires
En présence d'une discrimination tarifaire, que dit notre jurisprudence ? Elle veillera à l'intérêt général poursuivi et autorisera la prise en compte de différences de situation des usagers. Elle enjoint évidemment de vérifier que le tarif le plus élevé n’excède pas le coût réel du service rendu. Elle demande aussi que la charge financière des réductions tarifaires consenties à certains ne soit pas supportée par les autres usagers du service. Nous sommes loin du compte.
Le terme de tarif "solidaire" au sens péréquateur ou redistributif est donc inadéquat. Je lui préfèrerais celui de "proportionnel". Les recettes tarifaires sont loin de couvrir le coût réel du service. Et c'est là que prend tout son sens la légitimité de l'impôt du contribuable et la nature du service public.
Une tarification "sociale spécifique" n'est pas une tarification "solidaire"
- On connait l'objectif comptable manifestant la recherche d'équilibre avec le prix du service. C'est le discours de justification par la vérité des prix et donc hausse de tarif. Sauf qu'un prix n'est pas un tarif. Un récent rapport de l'Institut Montaigne avance cette logique, parallèlement accompagnée dans son corpus - cela a son importance - par le choix de la mise en concurrence, du partenariat public-privé et de la délégation de service public.
- On peut poursuivre aussi un objectif conjoncturel de stabilité des prix dans un secteur où la mission de service public représente un cout d'accès important pour les ménages.
- Nous avons par ailleurs l'objectif de promotion de l'activité par des tarifs commerciaux incitatifs car attractifs et qui rejoint le souci environnemental.
- Il y a enfin l'objectif distributif pour rendre le service accessible dans des conditions comparables à toutes les classes de revenus et sur l'ensemble d'un territoire donné.
La question est donc de faire un choix parmi tous ses objectifs sachant que l'on doit matérialiser au bout du compte la reconnaissance d'un "droit au
transport" effectif. S'il s'agit d'un droit, l'effectivité de son accès
pour tous est donc majeure (notamment en tout point du territoire, mais
c'est un autre débat).
En 2013, j'ai proposé à Pierre Cohen, Maire de Toulouse et Président du SMTC, de lancer une étude afin de passer de la notion de "pratiques" tarifaires à celle d'une véritable politique tarifaire, notamment en fonction des revenus. Cette étude n'a pas été interrompue par la nouvelle majorité mais je ne voudrais pas toutefois qu'elle gâche l’espérance de la perspective tracée car les échos de presse sur le sujet m'inquiètent.
Le même type d'étude fut engagé en 2012 à la ville de Toulouse dans le
cadre de sa politique communale. On retiendra malheureusement le manque
d'ambition des arbitrages finaux guidés par une vision strictement
budgétaire de ponction sur le pouvoir d'achat des familles.En 2013, j'ai proposé à Pierre Cohen, Maire de Toulouse et Président du SMTC, de lancer une étude afin de passer de la notion de "pratiques" tarifaires à celle d'une véritable politique tarifaire, notamment en fonction des revenus. Cette étude n'a pas été interrompue par la nouvelle majorité mais je ne voudrais pas toutefois qu'elle gâche l’espérance de la perspective tracée car les échos de presse sur le sujet m'inquiètent.
Les trois familles de critères tarifaires
Trois familles de critères permettent de construire une politique tarifaire.
- Les critères de statut, comme par exemple celui de demandeur d'emploi,
- les critères d'âge, comme celui du tarif pour les jeunes ou de la gratuité des séniors,
- les critères de revenus, comme l'ont établi des villes de gauche comme Strasbourg qui a vu les abonnements progresser de 20%.
Il
est possible naturellement de combiner ses critères. Ils ne sont pas
exclusifs. C'est le cas de Toulouse qui combine des critères de statut
et des critères d'âge.
En présence d'une discrimination tarifaire, que dit notre jurisprudence ? Elle veillera à l'intérêt général poursuivi et autorisera la prise en compte de différences de situation des usagers. Elle enjoint évidemment de vérifier que le tarif le plus élevé n’excède pas le coût réel du service rendu. Elle demande aussi que la charge financière des réductions tarifaires consenties à certains ne soit pas supportée par les autres usagers du service. Nous sommes loin du compte.
Le terme de tarif "solidaire" au sens péréquateur ou redistributif est donc inadéquat. Je lui préfèrerais celui de "proportionnel". Les recettes tarifaires sont loin de couvrir le coût réel du service. Et c'est là que prend tout son sens la légitimité de l'impôt du contribuable et la nature du service public.
Une tarification "sociale spécifique" n'est pas une tarification "solidaire"
Favorable à des tarifs qui tendent vers la prise en compte des
revenus, je ne méconnais pas les principes régissant la tarification des
services publics dont la règle d'équivalence entre niveau de
redevance et service rendu. Je ne sous-estime pas non plus le risque d'une dévalorisation de l'impôt comme mode de financement essentiel.
Il n'en demeure pas moins que notre arsenal législatif à travers la LOTI de 1982, la loi relative à la lutte contre les exclusions (1998), la loi SRU de 2000 ou la loi généralisant le RSA (2008) imposent une tarification dite sociale dans les transports publics avec pour objectif de soutenir financièrement la mobilité quotidienne des plus fragiles et des plus démunis.
Entendue ainsi, il s'agit donc d'une "tarification spécifique à caractère social", qui existe dans tous les réseaux, et non d'une tarification proportionnelle aux revenus dite "solidaire". Il en va ainsi par exemple des tarifs pour les demandeurs d'emploi, titulaires du RSA etc... C'est une logique de particularisation de la question sociale et non d'universalisation solidaire.
La prise en compte du revenu d'allocation chômage existe dans certains réseaux. Elle consiste à accorder un avantage tarifaire à la fois "statutaire" (demandeur d'emploi) et sur le "revenu" (en fonction du montant de l'allocation chômage). Ainsi, l'allocataire au niveau du SMIC bénéficie-t-il d'un avantage auquel le statut de salarié, percevant la même rémunération minimale, n'a pas droit ? On perçoit le risque d'incohérence éthique et la difficulté à mélanger critère de statut et critère de revenu. Après les propos du Pr. Ivaldi dans les colonnes de la dépêche, je devine l'intention à Toulouse de faire payer les chômeurs au risque d'un effet d'éviction. Après tout, un chômeur n'a pas besoin de se déplacer ! Sauf que 60.000 demandeurs d'emploi, à l'échelle de notre réseau, ce sont des millions de déplacements.
Dès lors qu'une politique tarifaire d'ensemble se voit refondée en fonction des capacités financières - et c'est là une condition - aucune raison ne peut justifier la discrimination. La question est de savoir ensuite si l'harmonisation se fait par le haut ou par le bas et si l'objectif est celui de l'accès pour tous et de la fréquentation .
Rendre le service accessible dans des conditions comparables à toutes les classes de revenus
Il n'en demeure pas moins que notre arsenal législatif à travers la LOTI de 1982, la loi relative à la lutte contre les exclusions (1998), la loi SRU de 2000 ou la loi généralisant le RSA (2008) imposent une tarification dite sociale dans les transports publics avec pour objectif de soutenir financièrement la mobilité quotidienne des plus fragiles et des plus démunis.
Entendue ainsi, il s'agit donc d'une "tarification spécifique à caractère social", qui existe dans tous les réseaux, et non d'une tarification proportionnelle aux revenus dite "solidaire". Il en va ainsi par exemple des tarifs pour les demandeurs d'emploi, titulaires du RSA etc... C'est une logique de particularisation de la question sociale et non d'universalisation solidaire.
La prise en compte du revenu d'allocation chômage existe dans certains réseaux. Elle consiste à accorder un avantage tarifaire à la fois "statutaire" (demandeur d'emploi) et sur le "revenu" (en fonction du montant de l'allocation chômage). Ainsi, l'allocataire au niveau du SMIC bénéficie-t-il d'un avantage auquel le statut de salarié, percevant la même rémunération minimale, n'a pas droit ? On perçoit le risque d'incohérence éthique et la difficulté à mélanger critère de statut et critère de revenu. Après les propos du Pr. Ivaldi dans les colonnes de la dépêche, je devine l'intention à Toulouse de faire payer les chômeurs au risque d'un effet d'éviction. Après tout, un chômeur n'a pas besoin de se déplacer ! Sauf que 60.000 demandeurs d'emploi, à l'échelle de notre réseau, ce sont des millions de déplacements.
Dès lors qu'une politique tarifaire d'ensemble se voit refondée en fonction des capacités financières - et c'est là une condition - aucune raison ne peut justifier la discrimination. La question est de savoir ensuite si l'harmonisation se fait par le haut ou par le bas et si l'objectif est celui de l'accès pour tous et de la fréquentation .
Rendre le service accessible dans des conditions comparables à toutes les classes de revenus
A
Tisséo, environ 1/3 du coût du service est couvert par les recettes
usagers (ce taux est d'environ 1/4 pour les TER, 80 % pour les
intercités). Le reste est financé par les contribuables ménages ou
entreprises.
Contrairement à l'impôt sur le revenu, l'impôt local est plus injuste et moins redistributif. Son taux s'applique en effet sur des bases fiscales et une sectorisation datant de 1970 sans aucun rapport avec la réalité sociale des quartiers concernés. Le levier du tarif ne peut-il permettre, en partie, de corriger cela par une prise en compte de la capacité contributive de l'usager ? Si le service public est financé à la fois par le contribuable et l'usager, le cumul d'un impôt local injuste et d'une politique du tarif unique ne corrige en rien l'inégalité de financement. Il en va ainsi de la gratuité totale, indépendante des revenus, qui peut aussi constituer une forme de distribution inversée (les pauvres payant pour les riches).
Contrairement à l'impôt sur le revenu, l'impôt local est plus injuste et moins redistributif. Son taux s'applique en effet sur des bases fiscales et une sectorisation datant de 1970 sans aucun rapport avec la réalité sociale des quartiers concernés. Le levier du tarif ne peut-il permettre, en partie, de corriger cela par une prise en compte de la capacité contributive de l'usager ? Si le service public est financé à la fois par le contribuable et l'usager, le cumul d'un impôt local injuste et d'une politique du tarif unique ne corrige en rien l'inégalité de financement. Il en va ainsi de la gratuité totale, indépendante des revenus, qui peut aussi constituer une forme de distribution inversée (les pauvres payant pour les riches).
Le
second argument relève de la place importante prise par le transport
collectif du quotidien pour les ménages aux revenus modestes. Elle est
significative dans l'utilisation : 18% des déplacements sont faits par des usagers dont les revenus
(par unité de consommation) sont inférieurs à 500€. Elle est de 8% pour des
revenus supérieurs à 3000€. Elle est significative aussi dans la part du
budget ménage consacrée aux déplacements. Le taux d'effort est d'autant
plus important que les revenus sont faibles.
Le tabou de la gratuité des séniors est-il socialement juste ?
La gratuité au-delà de 65 ans,
héritée d'une époque où l'on ne parlait pas encore de 4eme âge mais d'un
3eme âge dont le cœur devait être politiquement fidélisé à droite,
semble devenue aujourd'hui la patate chaude délicate à déconstruire.
Le souci clientéliste tétanise l'inquiétude morale. Il rend prisonniers les conservateurs de ces mots de De Gaulle pour qui « le désir du privilège et le goût de l’égalité relevaient des passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque ». Il devient dès lors impossible de poser la seule question pertinente. La gratuité des séniors est-elle socialement juste ?
J'ai entendu ici et là, et notamment dès le lancement de l'étude à Tisséo, l'idée d'une rupture d'égalité et d'un glissement progressif consistant à éteindre progressivement l'acquis pour les nouveaux entrants dans la classe d'âge. Les séniors actuels conserveraient la gratuité tandis que les futurs séniors de 65 ans la perdraient. Les subterfuges ont toujours besoin d'imagination, surtout lorsqu'il s'agit d'offrande sur l'autel de l'électoralisme des promesses faussement tenues.
Le souci clientéliste tétanise l'inquiétude morale. Il rend prisonniers les conservateurs de ces mots de De Gaulle pour qui « le désir du privilège et le goût de l’égalité relevaient des passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque ». Il devient dès lors impossible de poser la seule question pertinente. La gratuité des séniors est-elle socialement juste ?
J'ai entendu ici et là, et notamment dès le lancement de l'étude à Tisséo, l'idée d'une rupture d'égalité et d'un glissement progressif consistant à éteindre progressivement l'acquis pour les nouveaux entrants dans la classe d'âge. Les séniors actuels conserveraient la gratuité tandis que les futurs séniors de 65 ans la perdraient. Les subterfuges ont toujours besoin d'imagination, surtout lorsqu'il s'agit d'offrande sur l'autel de l'électoralisme des promesses faussement tenues.
Je le redis ici. Dès lors qu'une politique tarifaire d'ensemble se voit refondée en fonction des capacités financières - et c'est là une condition - aucune raison ne peut justifier la discrimination. S'ouvre alors le débat sur les seuils tarifaires mini et maxi. Certains réseaux ont recours au seuil de l’assujettissement à l'impôt. En tout état de cause, j'inviterais pour ma part à utiliser le même thermomètre pour tout le monde dès lors qu'il s'agit de mesurer la capacité contributive.
Le totem des 10 euros pour les jeunes n'a-t-il pas "boosté" la fréquentation
Autre
mesure d'âge, le cas des jeunes. La
pratique du tarif unique avantageux pour une classe d'âge ne relève pas
d'une politique sociale. Bien qu'elle puisse avoir un effet concret de
pouvoir d'achat, elle sera davantage motivée par les objectifs
d'incitation à l'usage, de cause environnementale et, in fine, de
stabilisation des prix. C'est le cas du tarif commercial unique à 10
euros pour les jeunes qui sont trois fois plus nombreux à se déplacer que les séniors et dont les abonnements progressèrent de 79 %
après la mesure. Ils représentaient 28 % des déplacements payants
en 2013 contre 17 % en 2008. Cette décision s'inscrivait dans une politique de
développement d'une mobilité alternative à la voiture.
Le scénario de la remise en cause des 10€ pour les jeunes est aujourd'hui sur la table. Je crains fort, en cette rentrée difficile, que les jeunes ne la renversent. Je vois poindre l'argument pour les amadouer : la hausse permettrait à Toulouse de rester la ville la moins chère de France. Je pense qu'il faut conserver le tarif de 10 euros/mois pour les jeunes.
Le scénario de la remise en cause des 10€ pour les jeunes est aujourd'hui sur la table. Je crains fort, en cette rentrée difficile, que les jeunes ne la renversent. Je vois poindre l'argument pour les amadouer : la hausse permettrait à Toulouse de rester la ville la moins chère de France. Je pense qu'il faut conserver le tarif de 10 euros/mois pour les jeunes.
Là aussi, dès le lancement de l'étude de Tisséo, j'ai entendu des suggestions. Notamment celle de casser l'universalité de ce tarif en privilégiant son accès aux étudiants boursiers. A
supposer que le critère de revenu des parents soit pris en compte à
travers l'instauration de tarifs spécifiques pour les boursiers, au
mépris cependant de l'autonomie avérée des étudiants(*), on pourrait pourtant répondre autrement que par la remise en cause de l'acquis. On pourrait par exemple transférer la
gratuité actuelle des séniors au bénéfice des étudiants boursiers ! Je ne sais pas ce qu'en penseraient les organisations syndicales. Je crains toutefois qu'elles y voient une nouvelle entame dans la quête d'indépendance des étudiants.
Pour
conclure, la montagne pouvant accoucher d'une souris, dire oui à la tarification proportionnelle n'augure en rien
la qualité précise de sa mise en œuvre. L'inquiétude appelle la
vigilance. Hélas, l'exemple des tarifs de la ville de Toulouse, n'en déplaise à la majorité municipale, sont là pour confirmer à la fois l'inquiétude et la vigilance.
(*) Jeune conseiller technique au cabinet du Ministre de l'Education Lionel Jospin en 1990, je fut d'ailleurs chargé de piloter le plan social étudiant qui consacra ce principe à travers l'Allocation Logement.
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