Municipales 2020. Les résultats sont là. N'en déplaise au Président Macron, un constat doit être tiré. Il y a deux gagnants en nombre d'élus, LR et le PS. Plus globalement, la gauche progresse dans le gain de collectivités et dans cette affaire, les villes de plus de 30.000 habitants sont essentielles, comme en 1977, à la plantation des graines de l'espoir.
Les
écologistes apparaissent comme la nouvelle arme du dégagisme ambiant faite de
renouvellement et de fraicheur novice. Chloé Morin remarque utilement que la carte de leur électorat recoupe
celle qui fit la victoire d'une autre vague dégagiste, celle de Macron en 2017.
Le scrutin d'aujourd'hui a dégagé les dégagistes d'hier sur fond d'abstention
massive.
Quant
à LREM, les éléments de langage masquent mal l'erreur commise. Ils perdent avec
la droite au prix de leur dilution dans une stratégie de strapontins plutôt
qu'en tirant le bénéfice d'une identité assumée par une présence autonome et
généralisée au 1er tour. Pour une formation politique en construction, il m'a
toujours semblé que c'était un prérequis que prendre appui sur le découpage
initial d'un rapport de force territorial.
Dans
le panorama des grandes villes, Toulouse (avec Nice) fait figure de triste
exception. Il y a bien sûr des raisons tenant à l'efficacité des campagnes ou
aux péripéties de leur déroulement. Il serait hasardeux de dresser la
hiérarchie de leurs effets comme pour mieux s'exonérer soi-même en conspuant
l'adversaire ou les défections de son camp. Ces effets ont-ils été
si déterminants ? Au vu de l'écart et du taux de participation, j'en doute. Ne
cédons pas à la facilité même si le discours de la peur a naturellement pesé.
Sans
doute faut-il porter le regard sur des raisons beaucoup plus structurelles. Y
aurait-il une incapacité congénitale de la gauche toulousaine à réunir les
conditions crédibles de l'alternance ? En l'espace d'un demi-siècle, elle
n'aura gouverné la ville que 6 ans, renvoyant la période au statut d'une
expérience.
Ce
résultat de 2020 est une nouvelle vexation historique. Il serait trop facile,
alors que les vents étaient partout favorables, de se cacher derrière son petit
doigt présomptueux, de s'exonérer d'une analyse lucide et de responsabilités
propres. Nous avons accouché d'une impuissance.
Les
grandes surprises de Bordeaux, Montpellier, Strasbourg, Marseille, Lyon n'ont
pas été le produit d'un "archipel". Pourtant, la gauche y a gagné. Nous
étions cependant avertis après la tentative de 2001 à Toulouse. Nous connaissions la main
experte de la droite pour agiter les épouvantails.
Je fus
très circonspect quant à ces nouvelles pratiques de "designers" proposées
par Archipel. Une modernité qui puise son fondement dans le rejet des
"appareils" et le ressourcement citoyen. Et s’il s’agissait d’une
posture esthétique ? On pourrait gloser sur cette notion « d’appareils »
contre laquelle ont débuté tant d'engagements politiques, mais grâce à laquelle
ils se sont si souvent transformés en carrières politiques. Galvaudée et
idéalisée depuis 40 ans, la haine des appareils me rappelle étrangement cette
phrase attribuée à Engels : "la preuve du pudding, c'est qu'on le
mange". Le présent est balbutiant mais le passé est éclairant. L'avenir en fera de même.
J’entends
déjà les cris d’orfraie des principaux artisans de l’expérience 2020 et je lis aussi de
leur part la satisfaction d’avoir tout de même « semé les germes de
victoires futures ». Au lendemain d’une défaite, le besoin de rester
debout et de maintenir la cohésion a si souvent convoqué la tonitruance velléitaire
pour le futur. On se plaint du vent contraire en espérant qu’il va tourner
alors que le sujet est de réajuster les voiles. A gauche, le monde nouveau proposé
à Toulouse n’a pas fait mieux que l’ancien.
Il sera difficile de trouver dans tous mes propos quelques allégeances coupables avec l’adversaire. Ma voix n'aura pas manqué à l'appel de la gauche pour le second tour et pour valoriser sincèrement les qualités propres de son tête de liste. Mais nul besoin cependant de l'accompagner pour ma part d'un vibrant remords sur mon analyse préalable de la démarche emmenée par Antoine Maurice virant en tête de la gauche au premier.
Il sera difficile de trouver dans tous mes propos quelques allégeances coupables avec l’adversaire. Ma voix n'aura pas manqué à l'appel de la gauche pour le second tour et pour valoriser sincèrement les qualités propres de son tête de liste. Mais nul besoin cependant de l'accompagner pour ma part d'un vibrant remords sur mon analyse préalable de la démarche emmenée par Antoine Maurice virant en tête de la gauche au premier.
Dans le même esprit, je ne vois aucune contradiction à penser que la démocratie représentative a besoin
d’une démocratie exécutive en continu. Mais si tel était le tropisme central de
cette élection, à la fois discriminant et disruptif de la nouvelle ère
démocratique, la gauche ne serait pas passée de 68000 voix en 2014 à 52000 voix
en 2020. La réponse à la crise du politique et de la démocratie ne peut se
réduire à ce supplément d'âme de la technique participative valant reportage de
la demande, comme à l’applaudissement béat d’une convention citoyenne pour le climat. Bref, à la confusion entre l'outil et l'objet.
Au
final, tout cela aura permis à la gauche de témoigner et, bien sûr, de se
rassembler .... grâce à la responsabilité des formations politiques. Encore
heureux que leur décision ne fut pas soumise à six mois de débats en atelier, à
des jurys "citoyens" ou encore aux ambitions individuelles. Le
paradoxe est là. Tribunes à l’appui, à lire certains, on voue aux gémonies
ceux-là mêmes dont on demande le recours pour gagner et, dans leur prétendue faible
contribution, on décèle ensuite une bonne part des raisons de la défaite. C’est
trop d’honneur !
Cela
étant dit, "la juxtaposition
atomisée de citoyens éclairés - dont on instrumentalise l'indépendance et
l'image pour gagner l'élection - résiste souvent mal à la servitude réclamée
pour la suite" écrivais-je déjà en janvier dernier. J'aurais aimé me
tromper quant à cette valorisation de l'œcuménisme citoyen devenu le point
cardinal, toutes listes confondues, de la garantie démocratique et de l'efficacité
représentative.
D'ailleurs,
sommes-nous si certains de cette ode nouvelle à l'indépendance d'expertise d'un
archipel de citoyens ou les candidats sont là à titre individuel mais procèdent
d'une décision préalablement extérieure, collective et organisée ? Sommes-nous
si convaincus du mécanisme de tirage au sort au point d'en mesurer in fine la
plus-value représentative ? Je ne suis pas hostile en soi à cette technique. Je
suis simplement rétif à dresser le modèle en parangon de cette vertu. Je sais combien
ce doute est plus répandu qu'on ne l'imagine.
En y
réfléchissant bien, les formations politiques ne sont-elles pas déjà des
archipels de citoyens, construisant leur programme, réunissant des volontaires,
choisissant leurs candidats. Si Archipel demeure et entend poursuivre sa
construction pour devenir le continent d'une espérance, c'est donc bien la voie
d'une institutionnalisation chère au doyen Hauriou qu'il s'agira d'incarner.
Une communauté de destin, un pouvoir qui s’organise en se dotant d'organes et
de normes de délibération, des manifestations de communion réglées par rituels et procédures.
Bref, un parti ou... un appareil. Un appareil devenant l'appareil des appareils le temps d'une
élection, mâtinée par le hasard d'une caution citoyenne évidemment
désintéressée. Le contenant vaut pour le contenu.
Bien
d'autres éléments structurels seraient utiles à relever dans ses résultats
électoraux, notamment après analyse de la géographie urbaine et sociologique du
vote. Cette dimension me semble essentielle pour discerner l’ancrage des
dimensions sociales et/ou sociétales (que je préfère à environnementales) des
ressorts du vote et interroger ainsi les conditions de reconstruction d'une
base sociale à la gauche politique.
Concluons sur un mot optimiste. La question environnementale est centrale.
Mais c’est parce que la question sociale est urgente que nous
pourrons la traiter de façon heureuse. J’ose ici prétendre que l’heure d’un
nouveau socialisme démocratique est venue. Exit le vieux débat sur les critères
de déficit public, exit les vieux tabous sur la propriété publique des
entreprises, exit la demande effrénée de privatisations, exit les visions
dépassées du travail et de l’entreprise, exit les approches du service public
déconnectées de son égalité d’accès ou de la promotion des biens communs… Le libéralisme
est sur la défensive, arcbouté sur la valeur actionnariale. La bataille n’est pas gagnée, loin s'en faut, mais son hégémonie culturelle
vacille. La configuration historique dans laquelle nous sommes est bien celle d’une
brèche, d’une nouvelle période de refondation contre les paresses de la gauche d'hier, comme dans les années 70, alors
que pointe une crise économique et financière sans précédent. Les frontières et la grammaire d'un nouvel État-providence sont à inventer.
Comme
d’habitude, l’idéologie libérale va investir la sémantique du progressisme et
disputer les moments de gloire de l’écologie « heureuse ». Le champ
lexical de la pensée galvaudée s’enrichit. Après la « bienveillance et le
vivre ensemble », émerge le « citoyen engagé et l’écologie ». Pas sûr
en revanche, que le nouveau « main stream » accepte la semaine
de quatre jours, la limitation des écarts de revenus, la solidarité de la
rente, le revenu universel ou la dotation pour les jeunes, la codétermination paritaire
dans les entreprises…
La droite et les intérêts sociaux qui la guident ont besoin du "changement dans la continuité" pour garantir leur domination, parfois même au prix de concessions aux humeurs électorales du moment. Avant même le besoin d'unité, la gauche a surtout besoin
d'en définir le contenu émancipateur. C'est l'heure.
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