Une analyse répandue veut que le décor de notre démocratie politique soit partagé en trois blocs distincts. L’extrême-droite populiste, la gauche radicale, la droite libérale. Le contexte récent semble concourir à cette trilogie. Le contenu de la politique gouvernementale tout comme les appels du pied du Président à l’endroit des Républicains manifestent clairement le leadership d’Emmanuel Macron sur ce qui reste de la droite parlementaire. Son espace politique pour dessiner une politique alternative à ce que promeut le Président Macron se réduit à la portion congrue du strapontin. Ils sont en réalité d’accord sur la stratégie économique et sociale du gouvernement. Assécher les finances de l’État, notamment par des choix de politique fiscale, pour mieux justifier dans l’avenir une réduction drastique de la dépense publique. C’est ce qui s’appelle une politique libérale.
Qu’il soit permis cependant de revisiter un point. On oublie trop aisément le 4ème bloc. C’est celui de l’abstention qui représente près de 50% du corps électoral. La légitimité du Président est assise sur un bloc électoral très faible. Le procès lui est souvent fait. Mais que dire alors de ses oppositions. L’argument s’avère dangereux et a toujours été celui de l’extrême droite théorisant la force du pays réel contre le pays légal. Certes, ce peuple-là n’a pas d’expression politique formelle. Ce qui permet ainsi, à toutes les extrémités du spectre politique, de parler à voix haute en son nom et, par agrégation de ses composantes, prétendre à sa représentation. Je ne suis pas sûr que cela suffise car après tout, le peuple, c’est quoi, c’est qui ?
« Une majorité alternative existe, c’est le peuple ! Nous sommes prêts à gouverner. Rappelez le peuple aux urnes, c’est à lui de décider. » Voilà ce que déclarait à ma grande stupéfaction Alexis Corbières le jour du vote de la motion de censure. « La droite sauve le gouvernement de justesse. Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève ».
Est-ce à dire qu’il suffit de renverser un gouvernement pour dessiner les contours d’une majorité nouvelle ? Y aurait-il le débouché d’une majorité de circonstance pour cette alliance objective d’une extrême droite instrumentalisant une motion de censure déposée par la gauche ? Cette déclaration confirme une orientation. Celle d’un objectif central : renverser le gouvernement, provoquer une crise, une dissolution ou, le cas échéant, un referendum. Ce qui s’appelle jouer avec le feu. Et cette motion de censure, qu’on le veuille ou non, est bien une allumette en vue du chaos institutionnel auquel pourrait succéder le KO d'une dissolution référendaire face au populisme d’extrême droite.
Jouer avec le feu, Jean-Luc Mélenchon le confirmera dès le lendemain du vote en s’adressant à la droite parlementaire. « (…) regardez comment font les députés NUPES ! Leur texte ne comporte pas de mentions répulsives pour vous. Leurs arguments sont concentrés sur des références en défense de la démocratie parlementaire foulée au pied par les macronistes. Vous auriez pu la voter comme l'ont fait les RN à l'Assemblée. Suivez mon conseil. Évitez de mettre des horreurs xénophobes et des délires libéraux dans votre motion, tenez-vous-en à la défense des droits du Parlement et vous aurez une très grande chance de convaincre les autres oppositions de voter avec vous. » Tout est dit. Il fut évoqué l’idée que la présence des socialistes au sein de la NUPES changeait la nature de l’union. En tout état de cause, sommes-nous certains qu’ils en maîtrisent la stratégie ?
Je fais partie de ceux pour qui ce n'est pas l'adhésion à la NUPES qui indique à quel espace appartiennent les socialistes. La clarification de mon appartenance à la gauche n’est en rien subordonnée à cela. En valorisant cette idée, la majorité actuelle du Parti Socialiste oublie bien des leçons de l’histoire, de Léon Blum, qui fut minoritaire au congrès de Tours[i] comme en 1946 face à Guy Mollet, jusqu’à François Mitterrand. Je ne me suis jamais résolu à considérer, depuis bientôt 40 ans, que l’estampille de l’authenticité relevait de la tutelle communiste, gauchiste ou aujourd’hui populiste. Et ce n’est pas la tonitruance de la radicalité qui délimite la pertinence de la frontière.
Depuis le gouvernement de 1936 - qui tomba un an après - jusqu'à celui de 1981 - qui opéra son tournant deux ans après - sans oublier d'évoquer celui de 1997 - qui se verra contraint trois ans après de rééquilibrer sa politique de la demande - l'histoire nous confirme les avertissements formulés en son temps par Léon Blum et sa célèbre distinction entre la "conquête" et "l'exercice" du pouvoir. Ne pas promettre ce que l'on ne peut tenir.
Où est-il écrit et démontré qu’un militant de la France insoumise est plus à gauche qu’un militant socialiste sachant que LFI se définit par ailleurs elle-même comme procédant du peuple davantage que de la gauche ?
A juste titre, rappelons que la NUPES n’est pas une organisation mais une alliance voire un cartel. Ce ne sont pas « les alliances qui dictent les projets » comme l’a indiqué, rassurant, Olivier Faure. Dès lors est-on en droit de considérer que si l’identité des socialistes n’est pas réductible à l’alliance, on ne peut donc accepter la mâchoire du piège : soit on est dans la NUPES, soit on est pour Macron. Et de cela il faut en tirer les conséquences.
Nous traversons, parait-il, un moment ou l’unité compte plus que la clarté et ou la question de l’identité serait donc moins centrale que celle de l’existence. Faute de « rentrer dans l’histoire, l’enjeu serait tout simplement d’y rester » en garantissant une représentation parlementaire. Et bien s’il s’agissait de cela et que la dissolution n’est pas un objectif en soi, ce temps n’a-t-il pas vécu ?
En d’autres temps, l’union à gauche avait réclamé patient labeur tant il est vrai que l’union, pour gouverner, ne pouvait résulter d’une alliance de circonstance. En faisant le choix de l’unité au détriment de la clarté, tout devient-il excusable ? La concession programmatique, la contrition exigée, la repentance assumée, la caractérisation sommaire des récalcitrants.
On conspue les éléphants d’hier mais on convoque les mammouths d’avant-hier. Cependant, par cette invocation, on oublie trop que l'union d'alors et la victoire subséquente sont nées d’une confrontation au sein même de la gauche. L’union est un combat. Encore faut-il le mener.
Tout comme le stalinisme d'hier était un obstacle à l’avènement du socialisme démocratique, le populisme d'aujourd'hui, dans son face à face avec Emmanuel Macron, est également un obstacle. Bien sûr, on peut me rétorquer que les français n’ont pas dit cela, du haut des 15 % des inscrits réalisés au 1er tour de la Présidentielle par Jean-Luc Mélenchon. Oui, l’aspiration unitaire a gonflé ce score. Ce fut un vote utilitaire. Mais comment construire de la solidité, de la cohérence, de la solidarité sur la nature dégagiste d’un tel socle.
Depuis 2002, le premier tour n’est plus celui où l’on choisit, le second étant réservé à éliminer. Le vote utile intervient dès le 1ertour. Et le mécanisme institutionnel s’en trouve aujourd’hui vicié. C’est la victoire d'un triumvirat dégagiste cristallisant trois formes bien distinctes de populisme dont la caractéristique commune est celle d’une légitimité charismatique. Une légitimité s’appuyant sur la providence du leader ou de l’Homme-peuple.
Pendant
les 17 premières années de sa vie politique, Blum restera dans l’opposition,
refusant notamment en 1924 de laisser son parti au gouvernement du cartel des
gauches pour préserver l’essence du projet socialiste. Certes, il s'agissait alors des radicaux de l'époque. Mais comment ne pas se souvenir de 1940, époque ou Maurice Thorez à propos de Blum, invitait la classe ouvrière "à clouer au pilori ce monstre"" cet exploiteur bourgeois", "ce répugnant reptile". Certes, le contexte était celui du pacte germano-soviétique.
"Les hommes qui, sur les ruines de la démocratie représentative, rêvent d’établir une démocratie populaire se repentiront un jour d’avoir travaillé pour un de ces Etats autoritaires auxquels le non de fascisme sera attaché" soufflera plus tard Léon Blum, en 1948, au congrès de l’IS.
[i] - "Nous sommes convaincus jusqu'au fond de nous-mêmes que, pendant que vous irez courir l'aventure, il faut que quelqu'un reste garder la vieille maison" (discours au congrès de Tours) La majorité de la S.F.I.O. ne suit pas Blum ; la minorité paraît « condamnée par l'histoire. "Comment demander au suffrage universel de voter pour les socialistes si ceux-ci, à l’image des communistes, se réfugient dans une opposition systématique ?" Dès 1919, Léon Blum ira mobiliser ses ressources intellectuelles pour convaincre les socialistes d’adopter une attitude responsable et persuader l’opinion qu’ils ont des propositions alternatives aux projets gouvernementaux qu’ils combattent. (Matthieu Quyollet, ed. Perrin, sous la direction de Michel Winock)